Statut juridique

Classé depuis le 07 novembre 2002

Inscrit sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco depuis le 01 janvier 1998

Recherches et rédaction

1989-1994

 

Voir les biens de ce lieu repris à l'inventaireLe «Nedermerckt» (Marché bas), comme on l’appelait à l’origine, est mentionné pour la première fois en 1174. À la fin du XIIe et au XIIIe siècle, on le dénomme aussi «Commune forum», «Forum» ou «Merkt». L’appellation actuelle se répand à partir de 1777-1789. La Grand-Place occupe l’emplacement d’un marais sur la rive droite de la Senne, à l’est du castellum, corps de défense avancé du castrum élevé vers 977-979 par Charles de France, duc de Basse-Lotharingie. L’endroit était limité au nord par le Spiegelbeek (à hauteur de la rue du Poivre), au sud et à l’est par un banc de sable. Il était en pente comme en témoignent les noms de certaines maisons («La Montagne» au n° 6, «La Colline» aux nos 10 et 18) et, aujourd’hui encore, la légère déclivité du terrain d’est en ouest. L’assèchement qui permit d’y tenir marché date du XIIe siècle, peut-être déjà du XIe siècle. Le niveau initial se trouvait 1,20 m plus bas qu’actuellement comme le prouve le reste de pavement que des travaux de canalisation ont dégagé en 1911 ; le deuxième sol mis au jour à 0,60 m sous l’actuel date du XVe siècle. Aujourd’hui, la place dessine un rectangulaire légèrement déformé au sud-est et à l’ouest. Sept rues y convergent depuis les origines : les rues au Beurre, de la Tête d’or, Charles Buis, des Chapeliers, de la Colline, des Harengs et Chair et Pain. Sa forme a évolué au cours des siècles à la suite d’agrandissements, de rectifications d’alignement et de transformations occasionnées par l’élargissement des rues; elle n’a été fixée qu’après la reconstruction qui a suivi le bombardement de 1695.

Aux XIIIe et XIVe siècles, le Marché était entouré par quelques «steenen», les Halles au Drap, au Pain et à la Viande et des maisons en bois disposées sans ordre. Ces dernières étaient séparées par des cours, des jardins ou des ambiti, passages faisant office de coupe-feu. Dans la deuxième moitié du XIVe siècle, une vaste Halle au Drap est construite au sud. En 1396, la Ville exproprie un grand nombre de maisons situées au nord, entre les rues des Harengs et de la Colline, afin d’agrandir et de régulariser la place de ce côté. Dans le courant du XVe siècle, les maisons situées au sud, entre les rues de la Tête d’Or et Charles Buls, font place aux ailes est et ouest de l’Hôtel de Ville, construites entre 1401 et 1444, et au beffroi érigé en 1449. Au nord, une nouvelle Halle au Pain est bâtie en 1405. Les maisons du côté est sont abattues en 1441 et remplacées par un complexe de six habitations contiguës, suivant un alignement imposé (nos 13 à 19). À partir du milieu du XVe siècle, les maisons du Marché sont occupées systématiquement par les métiers et les gildes qui, depuis 1421-1423, participent au gouvernement de la Ville et ont à cœur d’embellir la Grand-Place.

En 1515-1536, la Halle au Pain, démolie en 1512-1513, fait place à un bâtiment plus vaste qu’on appellera «Maison du Roi». De nombreuses maisons sont reconstruites. Au sud, en 1523, le n° 9 aligne une façade-pignon en bois sur celles des nos 8 et 10. À l’ouest, le n° 6 est rebâti, en bois également, en 1568. Au nord, les maisons des nos 23 à 27 sont alignées : en 1527, les façades des nos 23 et 24-25 forment un ensemble sous deux pignons hérissés de pinacles; en 1553, les nos 26-27, déjà reconstruits en 1510 avec une façade-pignon en bois, reçoivent une élégante façade Renaissance. En 1641-1645, des façades baroques en pierre, alignées, remplacent les façades-pignons en bois des nos 3 à 7. Par contre, à la veille du bombardement de 1695, les maisons des nos 34 à 38 conservent leurs façades-pignons en bois.

Après le bombardement, ne restent debout que l’Hôtel de Ville, la Maison du Roi et des pans de murailles des nos 3 à 7. Restauration et reconstruction s’effectuent très rapidement, suivant l’alignement actuel. Elles s’accompagnent de rélargissement et du redressement des rues au Beurre, des Chapeliers et de la Colline. L’ancienne Halle au Drap, en ruine, fait place en 1706-1717 à l’aile sud de l’Hôtel de Ville. L’unité architecturale remarquable de la Grand-Place reconstruite, révélée par les dessins que F.J. De Rons en a faits entre 1729 et 1749, résulte de l’ordonnance prise en 1697 par le Magistrat de la Ville et exigeant l’approbation préalable des plans de toute construction nouvelle. Quelques architectes célèbres ont participé à la reconstruction, sur commande des gildes, entre 1696 et 1710 : J. Cosyn, G. De Bruyn, A. Pastorana, C. Van Nerven...

Côté sudest de la Grand-Place (photo 2020).

Dans le courant du XVIIIe siècle, la décadence des gildes a pour corollaire le délabrement progressif de leurs locaux. En 1793-1794, les Sans-Culottes saccagent le décor sculpté des nos 1, 5, 7 et 13-19; les maisons des métiers sont confisquées et vendues à des particuliers, qui les négligeront. En 1830, un projet de modification de la façade dite «Aux ducs de Brabant» se heurte à l’opposition de l’architecte de la Ville, N. Roget, qui, le premier, manifeste ainsi la volonté de respecter l’architecture ancienne et l’harmonie d’ensemble de la Grand-Place. Au cours du XIXe siècle, des façades sont enduites ou modifiées partiellement (rez-de-chaussée : nos 2-3, 5, 34, 35; fenêtres et pignon : n° 6) ; des façades-pignons sont transformées en façades sous corniche (nos 21-22, 23). À partir de 1850-1860, la Ville prend conscience de la valeur historique et monumentale de la Grand-Place et décide de subsidier la restauration des façades des nos 4, 5, 10 et 13-19, tandis qu’elle poursuit la restauration générale de l’Hôtel de Ville décidée au début du siècle. Dans la même optique, l’architecte P.-V. Jamaer procède en 1873 à la démolition et à la reconstruction de la Maison du Roi. Néanmoins, la disparition de la maison de «L’Étoile», supprimée en 1853 pour élargir la rue Charles Buls, avait brisé le caractère fermé de la place. Celle-ci sera également visée par divers projets de restructuration urbaine, tel celui, non réalisé, de l’architecte H. Maquet en 1873 de la relier à la rue de la Madeleine par une galerie ayant son entrée aux nos 13 à 19.

Entre 1882 et 1920, une campagne systématique de restauration est entreprise. En 1883, le bourgmestre Ch. Buls fait approuver une convention par laquelle la Ville s’engage à entretenir les façades des particuliers moyennant une faible redevance annuelle. Il instaure, en outre, l’obligation d’un permis de bâtir préalable à toute modification. Les travaux de toute nature se fondent désormais sur des documents authentiques, tels les relevés de F.J. De Rons. La situation actuelle est le fruit de cette politique volontariste de conservation, qui a encore inspiré des travaux récents : rafraîchissement des façades en 1950-1960, remise en état du n° 1 en 1983, enduisage et peinture des façades des nos 35 et 36-37 en 1984, restauration des nos 13-19 dès 1987.

Si, à l’origine, le Marché était le centre de toute vie politique, économique et sociale à Bruxelles, aujourd’hui, la Grand-Place est avant tout un pôle d’attraction touristique. Dès le XVe siècle, les échoppes, qui s’y dressaient jusqu’alors en permanence, se regroupent par quartiers. Alors que des foires y avaient lieu à dates fixes entre 1523 et 1833, elle n’accueille plus que l’un ou l’autre marché aux fleurs, aux plantes ou aux oiseaux. L’Administration communale a quitté l’Hôtel de Ville pour le Palais du Midi d’abord, le Centre administratif du boulevard Anspach ensuite. La Maison du Roi, après avoir abrité diverses instances administratives et judiciaires, est devenue en 1927 le Musée de la Ville. Enfin, la Grand-Place n’est plus guère animée que par des spectacles après avoir été longtemps le cadre de grandes manifestations publiques : Joyeuses Entrées des souverains, tournois, cortèges — dont l’Ommegang perpétue aujourd’hui la tradition — ou exécutions capitales comme celle des comtes d’Egmont et de Hornes en 1568 ou de Fr. Anneessens en 1719.

En 1302, une fontaine gothique occupait le centre de la place. Une fontaine Renaissance lui succède en 1565-1566; adossée au perron de la Maison du Roi, elle disparaît avec lui en 1767. Une troisième fontaine, surmontée de statues des comtes d’Egmont et de Hornes par Ch.-A. Fraikin, occupe le même emplacement de 1864 à 1879; elle orne aujourd’hui la place du Petit Sablon. Le centre de la place, qui avait été embelli en 1856 d’une fontaine monumentale à l’occasion du 25e anniversaire du règne de Léopold Ier, reçoit à la fin du XIXe siècle un élégant kiosque en fonte, qui disparaît ensuite. Les boutiques, hôtels, tavernes, auberges qui apparaissent sur les photos du XIXe siècle ont été remplacés par des établissements commerciaux voués quasi exclusivement au tourisme.

Les maisons de la Grand-Place illustrent l’architecture baroque du tournant du XVIIe au XVIIIe siècle; elles se répartissent en trois groupes suivant l’ordonnance et le décor de leur façade. Le type le plus courant et le plus sobre, qui rappelle l’architecture traditionnelle, est caractérisé par des trumeaux étroits et un décor de plates-bandes (nos 20, 21-22 et 35 à 38). Un type plus italianisant présente des ordres superposés de pilastres ou de colonnes (nos 1, 5, 7, 11, 28, 34, 39; les nos 2-3 et 4 ont des pignons plus décorés; les nos 26-27 sont nettement inspirés par la Renaissance italienne). Enfin, un type plus classique offre ordre colossal, fronton, attique, balustrade (nos 10, 13- 19 et 24-25; en version plus sobre, nos 8, 12 et 23). Deux exceptions : le n° 9 relève davantage du style Louis XIV et le n° 6 annonce le Rococo. Quel que soit le style dont elles s’inspirent, toutes ces façades se distinguent par le traitement typiquement local des pignons et du décor. Les dorures qui les rehaussent aujourd’hui tentent de rappeler l’aspect chatoyant qu’elles avaient sans doute à l’origine, comme le donneraient à penser quelques peintures du XVIIe siècle, des dessins de la première moitié du XVIIIe siècle et de rares vestiges mis au jour lors des restaurations.

Sources

Archives
AVB/FI, album VI-3, album Coppens XII-15, M 2554 à 2558, M 2209 à 2212.
Musée de la Ville : gravure de la Joyeuse Entrée de l’archiduc Ernest d’Autriche (1594) ; dessins de façades de la Grand-Place par W. Hollar (vers 1645?); gravures de A. Coppens montrant la Grand-Place après le bombardement de 1695; dessins de façades par F.J. De Rons (1729, 1737 et 1749).

Ouvrages
ABEELS, G., Bruxelles au tournant du siècle, Zaltbommel, 1974, fig. 55, 59 à 62.
VAN GELDER, E., La Grand-Place de Bruxelles, Bruxelles, 1899.
MEIRSSCHAUT, P., Les sculptures de plein air à Bruxelles, Bruxelles, 1900, pp. 93-129.
LEURS, L. De Grote Markt van Brussel, 1942.
BARTIER, J., MARTENS, M., MARTI NY, V.-G., BRUNARD, A., La Grand-Place de Bruxelles, Bruxelles-Liège, 1966.
HENNE et WAUTERS, 3, pp. 28-86.
DES MAREZ, 1979, pp. 1-74.
CORDEIRO, P., HEYMANS, V., LAMBERT, C, et al., étude historique et architecturale des maisons de la Grand-Place, Cellule Patrimoine Historique de la Ville de Bruxelles, Bruxelles, 1999.
De PANGE, I., La Grand-Place de Bruxelles, aparté, Bruxelles, 2011.
HENNAUT, E., La Grand-Place. Patrimoine mondial, Bruxelles, 2018 (Bruxelles, Ville d’Art et d’Histoire: 56).
HEYMANS, V., (dir.), Les Maisons de la Grand-Place de Bruxelles, CFC-éditions, Bruxelles, 2011.

Cartes / plans
CORDEIRO, P., MARTOU, M.-N., MOUTURY, S., La gestion de la Grand-Place de Bruxelles et ses abords in Thema & Collecta, 1, 2011, pp. 51-59.
La restauration d’un décor d’exception. Les façades de la Grand-Place
in Bruxelles Patrimoines, 2018 (Hors-série).

Sites internet
BALat KIK-IRPA
UNESCO - Grand-Place