Typologie(s)

villa isolée

Intervenant(s)

Jacques DUPUISarchitecte1946-1948

Jacques DUPUISarchitecte1951-1954

Statut juridique

Classé depuis le 07 septembre 2000

Styles

modernisme d'après-guerre

Inventaire(s)

Ce bien présente l’(es) intérêt(s) suivant(s)

Recherches et rédaction

2006

id

Urban : 22432
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Description

Villa de style moderniste, construite sur les plans de l'architecte Jacques Dupuis entre 1946 et 1948. Considérée comme l'une des premières réalisations d'importance de l'après-guerre en Belgique, elle compte parmi les œuvres majeures de l'architecte. C'est également la première création qu'il réalise entièrement seul. Le commanditaire, son frère Paul-Victor, a acquis un vaste terrain sur le plateau de Stockel, alors encore rural, où il souhaite s'installer avec sa famille et offrir à l'un de ses enfants, malade, un environnement sain, hors de la ville.

Le programme défini par le propriétaire est très strict: la maison doit répondre à ses exigences professionnelles et familiales. L'architecte a carte blanche pour le réaliser, ce qu'il fait en totalité, dessinant non seulement les plans de l'habitation et du jardin mais également les fins châssisPartie en menuiserie d'une fenêtre. de bronze et jusqu'au mobilier, souvent encastré. J. Dupuis a aussi participé activement à la décoration de la villa, soit directement, soit en conseillant son commanditaire.

Le Parador, façade arrière, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

La maison est implantée sur un terrain irrégulier s'étendant des avenues Louis Jasmin à Montgolfier. Elle se compose d'un étroit volume central, de deux niveaux sous toit à versant unique, s'étirant d'est en ouest. Deux ailes latérales en retour vers le nord la complètent, ainsi qu'un petit pavillonLe toit en pavillon est un toit à quatre versants droits couvrant un corps de bâtiment de plan sensiblement carré. La lucarne en pavillon est une lucarne dont le toit est en pavillon. de jardin relié en oblique à la villa par un muret. Le volume central est dominé, côté jardin, par une tour de trois niveaux. L'aile ouest a, quant à elle, fait l'objet d'une extension vers l'avenue par l'architecte, en 1951 ou 1954 (les deux dates sont avancées dans les deux ouvrages de Cohen, M. et al., cités en référence en fin de notice, tandis que les documents d'archives sont inaccessibles).

La villa se déploie librement en fonction de la course du soleil et non, comme d'usage, suivant l'alignement de la voirie. L'implantation en retrait de cette dernière garantit en outre une certaine intimité aux habitants.

Côté avenue, au nord, le bâtiment prend en tenaille un espace gazonné, sorte de jardin d'accueil qui donne à découvrir les corps de bâtiments de manière progressive. Comme dans bon nombre de réalisations ultérieures de l'architecte, les façades à rue sont presque aveuglesUn élément est dit aveugle lorsqu’il est dénué d’ouverture. Une baie aveugle est un élément construit sans ouverture, imitant une porte ou une fenêtre.. Blanchies, elles se présentent comme des surfaces fermées, planes, de grandes toiles tendues seulement fendues par des fenêtres en meurtrière et par la porte d'entrée axiale, qui s'insère dans un profond encadrement en pierre. Ces façades apparentent l'habitation à une citadelle ne laissant rien transparaître de son intérieur.

Le Parador, plan d’implantation, © COHEN, M. [i]et al.[/i], 1999, p. 106.

L'originalité de la maison fut d'ailleurs mal comprise par l'administration communale. Le permis fut octroyé à condition qu'un «écran de peupliers soit planté pour cacher la vue de la façade», estimée «laide» (Cohen, M. et al., 1999, p.31).

La façade de l'extension ajoutée vers la rue dans les années 1950 contraste avec celles des autres ailes par ses larges baiesOuverture, d'ordinaire une porte ou une fenêtre, ménagée dans un pan de mur, ainsi que son encadrement., percements indispensables à un apport suffisant de lumière pour ce volume implanté en bordure du terrain.

Au sud, la villa s'ouvre largement sur le jardin. La façade arrière, dominée par la tour, se divise en quatre unités égales mais jouant sur un contraste de surfaces alternativement opaques et transparentes, que surplombe le débordement du toit.

Dupuis utilise des matériaux traditionnels tels que la brique, la pierre bleue ou encore le moellonPierres grossièrement équarries mises en œuvre dans une maçonnerie. des Ardennes. Les briques sont de type dit espagnol. Elles ont été récupérées de constructions de l'Ancien Régime démolies dans le centre de Bruxelles.

Le Parador, façade est, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

L'architecture reflète les influences étrangères, notamment scandinaves, qui traversent tout l'œuvre de l'architecte. Une inspiration historique est également perceptible, la tour carrée et les fenêtres en meurtrière renvoyant au vocabulaire des châteaux-forts. La porte d'entrée est en outre dotée d'un couronnement à volutesOrnement enroulé en spirale que l’on trouve notamment sur les chapiteaux ioniques, les consoles, les ailerons, etc., un type d'ornement à l'ancienne caractéristique de l'immédiat après-guerre. Des références historiques de ce genre ne se rencontreront plus dans les réalisations ultérieures de l'architecte.

Le Parador se caractérise en outre par l'utilisation des lignes obliques et courbes ou, comme l'écrit Pierre Puttemans, par «l'abandon de l'orthogonalité systématique, de façon à permettre aux espaces intérieurs de se “couler” l'un dans l'autre, de conduire les gestes et les parcours, d'accueillir l'habitant ou le visiteur de façon aimable vers l'intérieur de la maison» (Maisons d'hier et d'aujourd'hui, 79, 1988, pp. 87-95).

Intérieur
Dupuis a adapté le programme de la maison aux desiderata stricts de son frère, qui souhaitait grouper les pièces de réception et de travail au rez-de-chaussée et les espaces de vie à l'étage.

Le rez-de-chaussée est marqué par l'axe du couloir d'entrée, voûté, qui assure une liaison directe entre le jardin d'accueil et le jardin principal.

Le Parador, couloir d’entrée, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

Le salon de réception est l'une des pièces maîtresses du rez-de-chaussée. Agrandi légèrement, quelques années après la construction de la maison, par la suppression d'un couloir qui le séparait du rez-de-chaussée de la tour, il est ouvert sur le jardin par quatre hautes baiesOuverture, d'ordinaire une porte ou une fenêtre, ménagée dans un pan de mur, ainsi que son encadrement. vitrées. Le mur nord est investi par une imposante cheminée asymétrique à consolesPièce de pierre, de bois ou de métal partiellement engagée dans un mur et portant un élément en surplomb. La console se distingue du corbeau par ses dimensions plus grandes et par le fait qu’elle s’inscrit grosso modo dans un triangle rectangle. La console désigne également des éléments non porteurs, mais apparentés d’un point de vue formel à une console. de pierre. De part et d'autre, le mur est décoré, en 1978, d'une peinture murale de P.Boelman. Ce dernier, en association avec Z. Busine, avait également réalisé une peinture murale sur le mur qui a été démoli. Un petit bassin, supprimé en 1958, participait également à l'originalité de la pièce. Son dragon cracheur qui servait à l'origine de fontaine se trouve aujourd'hui fixé sur un miroir.

Le Parador, salle de réception, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

Le salon rose, situé au rez-de-chaussée de la tour, était destiné à accueillir la bibliothèque. Mais c'est comme salle de jeux pour les enfants, puis rapidement comme petit salon qu'il fut utilisé. Jadis séparé du salon de réception par le couloir menant à la cage d'escalierEspace à l'intérieur duquel se développe un escalier., il est aujourd'hui en liaison directe avec celui-ci. Un dispositif de miroirs, qui démultiplie l'image à l'infini, marque de manière originale le passage entre les deux espaces. Ce salon intime, dont l'ambiance rappelle les années 1950, est entièrement décoré par Dupuis, qui en a dessiné tous les meubles, dont le bar encastré.

Le Parador, salon rose, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

La cage d'escalier, côté avenue, est séparée du hall d'entrée par une porte en chêne massif, laquée en blanc côté hall. Elle est éclairée par l'une des fenêtres en meurtrière, ainsi que par la lumière venant de l'étage via un aquarium encastré dans le mur de la salle à manger. Les marches en travertin italien contrastent avec la première marche en pierre de France. De fines baguettes de bronze peintes en blanc et placées en zigzags constituent la rampe, à main-courante en érable sycomore galbé.

Le Parador, cage d’escalier, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

À l'étage, le corps principal abrite un petit salon suivi de la salle à manger. Le salon est caractérisé par un lambrisLe lambris est un revêtement de menuiserie, de marbre ou de stuc couvrant la partie inférieure ou l'entièreté des murs d’une pièce. en flexwood (cèdre du Honduras) ainsi que par un mobilier encastré, l'ensemble donnant à cet espace un caractère de confortable intimité. Le plafond est en outre orné d'une imposante mouluration en étoiles. Principale pièce de la maison, la salle à manger est entièrement ouverte sur le jardin par un vaste pan de verre et prolongée par une terrasse à garde-corpsOuvrage de clôture qui ferme un balcon, une terrasse, une porte-fenêtre, une gaine d'ascenseur... incliné vers l'intérieur. Comme au salon, les murs sont recouverts de bois et le sol est parqueté.

Le Parador, salle à manger, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

Le jardin était plus grand à l'origine. Il était terminé par un bosquet qui a été amputé lors du percement de l'avenue Montgolfier. Le jardin conçu par Dupuis participe entièrement de sa démarche architecturale. Il se compose d'une grande pelouse, traversée en ligne droite par un chemin pavé et entourée d'arbres à haute tige qui isolent la villa de son environnement. L'influence de l'architecte suédois Gunnar Asplund est visible dans l'implantation centrale d'une pelouse dégagée, qui fait paraître le jardin plus vaste, ainsi que dans la butte artificielle aménagée à proximité du chemin dallé.
À l'ouest, le petit pavillonLe toit en pavillon est un toit à quatre versants droits couvrant un corps de bâtiment de plan sensiblement carré. La lucarne en pavillon est une lucarne dont le toit est en pavillon. de jardin affecte un plan trapézoïdal. Dans le muret qui le relie à la villa s'insère une fontaine. L'ensemble est devancé par un petit plan d'eau entouré d'arbustes.

Le Parador, jardin, photo Bastin & Evrard © SPRB, s.d.

Au Parador, Dupuis développe un véritable langage narratif en parsemant la maison d'éléments symboliques, dessins et écrits. La clefClaveau central d’un arc ou d’une plate-bande. Il s’agit d’un élément architectonique. Le terme s'utilise également pour des éléments purement décoratifs qui évoquent une clef à rôle structurel. de pierre surmontant l'entrée est ainsi gravée d'une silhouette féminine sortant d'un puits, entourée d'un serpent et éclairée par le soleil; sous le puits est gravée l'inscription «vérité». Ces symboles du puits (en lien avec le nom de la famille Dupuis) et du soleil, ainsi que celui de l'étoile sont récurrents. Ils se retrouvent entre autres sur le pavement du couloir d'entrée, les portes, le plafond. Dans le jardin, la fontaine, de plan semi-circulaire, présente un décor de mosaïques bleue et jaune intégrant un soleil accompagné du chronogramme: «eCCe beneDICetVr hoMo IVstVs Vt pVteVs aLtus aqVae pLenVs» («voici qu'est béni l'homme juste comme le puits profond rempli d'eau»). Au revers de la porte séparant l'entrée principale de la cage d'escalierEspace à l'intérieur duquel se développe un escalier. est gravée la phrase suivante: «dans la paix et la tiédeur de tes murs, dans leur lumière contre la nuit, le froid, la peur, garde-nous maison familière».

Classement 07.09.2000.

Sources

Archives
ACWSP/Urb. 297: 92 (1946).

Bibliographie
BERCKMANS, C., BERNARD, P., Bruxelles '50 '60. Architecture moderne au temps de l'Expo 58, Bruxelles, Aparté, 2007, pp.192-193.
COHEN, M., THOMAES, J., Jacques Dupuis architecte, La lettre volée/Ministère de la Communauté française, Bruxelles, 2000, pp.152-158.
COHEN, M., THOMAES, J., Le Parador : une maison de Jacques Dupuis, Les carnets d'architecture contemporaine, 4, Bruxelles, 1999.
DUBUISSON, E., EGGERICX, L, Région de Bruxelles-Capitale. Monuments et Sites protégés 1998-2003, La Renaissance du Livre, Bruxelles, pp.153-155.

Revues
Maisons d'hier et d'aujourd'hui, 79, 1988, pp.87-95.
Le Soir – Woluwe-Saint-Pierre…, hors série, 2006, pp.40-42.

Site web
Jacques Dupuis